L’ histoire du vinyle – Partie 1, souvenirs de Casper Slinger et Artone (1956-1970)
par Harry Knipschild (historien) et Ariane Slinger (sa fille)
Cela fait déjà plus de cinquante ans qu’après avoir passé mon examen d’entrée à la faculté de mathématiques à Utrecht, j’ai emprunté une voie différente. Durant l’automne 1965, j’ai décroché mon premier emploi fixe au sein d’une entreprise spécialisée dans la musique. Il s’agissait d’ARTONE, située dans la Kruisstraat 8-10 à Haarlem. J’y ai travaillé pendant deux mois pour ensuite passer chez les collègues de Negram-Delta dans la Zijlweg au sein de la même ville.
Artone avait été fondée neuf ans plus tôt par les frères Casper et Willem Slinger, en collaboration avec John Vis. Les deux frères étaient les propriétaires. Au cours des huit semaines de travail, je n’ai jamais eu l’opportunité de leur parler. Ceci était réservé à un nombre restreint de collaborateurs importants. Le fossé entre le personnel et la direction semblait être grand. On désignait les frères Slinger dans les couloirs comme Monsieur W. et Monsieur C.D. Je ne savais absolument pas ce qu’ils faisaient dans le reste du bâtiment où est établie aujourd’hui la société Albert Heijn. C’est comme si John Vis s’occupait de la plupart des choses.
Cela a duré des années après mon départ avant que j’en apprenne plus sur Artone. John Vis (1929-2015) évoquait parfois le passé dans des interviews de magazine. J’ai obtenu plus d’informations en donnant la parole pour ce site à des anciens collaborateurs d’Artone, comme Gijs Leijenaar et André Ceelen
Surtout Leijenaar avait une opinion bien tranchée concernant la direction de la maison de disques. Sur le site j’ai entre autres écrit à la suite de notre entrevue : « Dans les plupart des articles concernant Artone, on dépeint John Vis comme l’homme ayant permis à l’entreprise de croître. Le rôle des frères Slinger est souvent mis à la marge. C’était aussi mon impression et c’est ainsi que je l’ai toujours formulé.
Leijenaar n’était absolument pas d’accord. «Dans votre précédent article John Vis endosse de grandes responsabilités. Il n’était pas du tout comme cela – bien au contraire, c’était un homme un peu timide qui n’aimait pas se mettre en avant. Il est faux que c’est lui qui a été à la base du succès d’Artone. Je peux me tromper, mais dans l’article il est mis en avant comme l’homme qu’il aurait voulu être, mais qu’il n’est jamais devenu. Bien au contraire. Une fois à la tête de l’entreprise, après le départ des Slinger, il était presque fini », explique Leijenaar.
Il vouait surtout une grande admiration à « Monsieur C.D. ». Slinger avait beaucoup aidé Gijs lors de son départ de l’entreprise. En apprenant que son ancien directeur était décédé le 18 septembre 2016, Leijenaar l’a de suite décrit avec les mots empreints d’admiration suivants : « sévère mais juste ».
« Maman Slinger peut être très fière de C.D., l’élément moteur autour de qui tout était articulé. Songez à tout ce que cet homme a créé et à combien de personnes il a donné une existence » .
Le décès de Casper Slinger (le 18 septembre 2016)
La famille de Casper Dingeman Slinger (son nom en entier) s’est également manifestée. Le 24 septembre, elle a publié un avis de décès dans le Telegraaf disant : « A la fin des années 50, Casper Dingeman a été le fondateur de la maison de disques Artone CBS à Haarlem avec son frère Willem. [Il était] un grand entrepreneur aimant son entreprise et ses collaborateurs ».
Le 11 octobre, sa fille Ariane (53) résidant à Genève a pris contact avec moi afin d’aborder le passé de son père. Elle m’a fait savoir par e-mail : « Il y a beaucoup de données dont vous ne disposez pas encore et l’histoire de sa vie est très intéressante ». Peu après, elle a envoyé des tas de données et des réponses aux questions que j’ai posées. Le 18 octobre, il y a eu un entretien téléphonique. La mère Adriana Maria Slinger-Van Mierlo (83) était présente lors de la conversation.
Au cours des dernières années de son existence, Casper Slinger – il a atteint l’âge de 92 ans- était bien au courant des développements dans la musique (et aussi des articles écrits par ma plume sur Internet concernant Artone). Il ne voulait cependant pas réagir lui-même. Ceci reviendrait à sa famille, « le jour de sa disparition ». Au nom de la famille, sa fille Ariane m’a communiqués plusieurs faits intéressants.
L’historique de la famille Slinger
La famille Slinger est originaire de la Hollande méridionale et du Brabant-septentrional (‘pas de Belgique !’). Son grand-père Dingeman Slinger était né dans un village au sud de Rotterdam. En 1929, Slinger senior a fondé l’entreprise pétrolière Trio. « Il importait des barils de pétrole de Pennsylvanie qu’il achetait à un certain Monsieur Drake de la Pennsylvania Oil Company, le, premier producteur pétrolier des Etats-Unis », d’après les notes écrites de sa main dans un livre.
Dans diverses publications, on lit qu’Edwin Drake (1819-1880) a extrait du pétrole avec une machine à vapeur en Pennsylvanie (à côté de Titusville) en 1859. Titusville est devenue une ville champignon, comme quelques années plus tôt pendant la ruée vers l’or beaucoup d’aventuriers sont partis pour la Californie. En 1891, la Pennsylvanie produisait 31 millions de barils, 58 pour cent de la production pétrolière américaine totale de cette année.
Ariane Slinger : « Mon grand-père vivait dans une très belle maison à Heemstede et menait une vie prospère ».
Les années de guerre ont laissé des traces, comme l’a écrit Gerlof Leistra récemment dans Elsevier. « Au début de la guerre, Casper Slinger est envoyé dans un camp de travail à Berlin. Il a sauté du train et a été caché par une femme allemande et s’est échappé à destination de la Russie. Il informait les troupes anglaises par la radio ».
Faire du commerce était de famille. « Mon père se rendait souvent en Espagne pour y échanger du pétrole contre des oranges, des bananes et des mandarines puisqu’il y avait peu à manger aux Pays-Bas après la guerre ».
Plus tard, Dingeman Slinger est devenu directeur Benelux de BP (British Petroleum) selon sa petite fille. C’est ainsi qu’il a fait rentrer ses fils Willem et son frère Casper qui avait dix ans de moins (né le 20 novembre 1923 à Schoten à côté de Haarlem) dans l’entreprise. Les deux avaient suivi une bonne formation. Slinger senior avait suggéré à Willem de faire du droit et Casper avait fait des études de pharmacie à Utrecht après l’ecole secondaire.
Ariane Slinger : « Casper et Willem avaient une bonne situation – ils habitaient à Aerdenhout et Bloemendaal ». Fin 1956, les deux frères ont réussi à gagner beaucoup d’argent en peu de temps grâce à la crise du Canal de Suez. Ils avaient des réserves considérables de pétrole aux Pays-Bas. Soudainement, le prix de ce pétrole a fortement augmenté à cause des problèmes de transport vers l’Europe. Cela a duré à partir de la fin de l’année 1956 jusqu’au début de l’année 1957. Tout d’un coup, ils sont devenus immensément riches ».
Apparemment, le duo (au sein du Trio) avait aussi des activités en dehors de BP. Une question s’y rattachant est restée sans réponse. Ariane Slinger : « Ma mère ne connaît plus tous les détails. Ce n’est pas clair à 100 pour cent. Peut-être que mon grand-père a vendu Trio où les deux frères travaillaient avec leur père plus tard à BP lorsqu’il y est devenu directeur ».