L’ histoire du vinyle – Partie 3, ARTONE et CBS Records
CBS Records
Les années soixante ont été caractérisés par l’arrivée de CBS Records, faisant partie de l’entreprise à succès Columbia Broadcasting System à New York. En 1974, Clive Davis a écrit concernant l’industrie du disque : « Corporate CBS had been encouraging its divisions to expand and diversify because the board felt that television-growth, being government-licensed, might be limited ».
En d’autres termes, les bénéfices engrangés par la chaîne CBS devaient être investis dans d’autres activités. CBS a racheté différentes entreprises : Fender (guitares), Creative Playthings (jouets), Rogers (batteries) en Leslie (baffles). Le département disques, Columbia Records, avait comme mission de s’étendre. Il y avait assez d’argent pour le faire. On décide de s’occuper dorénavant soi-même de l’Europe. Comme le nom de Columbia était la propriété d’EMI, l’entreprise opérait sous le nom de CBS International.
Le 16 mars 1963, Billboard a consacré une rubrique à la fondation de CBS International sous la direction de Goddard Lieberson. Tous les représentants de CBS International ont fait paraître une annonce d’une page dans le magazine spécialisé. Artone donc aussi. L’annonce disait : « The licensee agreement reached with CBS Records marks an important milestone in the history of the Slinger Brothers organization, a major force in the Benelux record industry. The Slinger Brothers have founded a completely separate organization to distribute CBS Records throughout the Benelux countries, Belgium, Holland and Luxembourg.
In addition to a large roster of local artists under contract, the overal strength of the Slinger sales and promotion forces, backed by excellent manufacturing facilities, gives the organization a tremendous grip on the record market and the means of realizing maximum sales effectiveness. Everything indicates that CBS Records will be established as a leader in Benelux in 1963 ».
John Vis et Hemmy J.S. Wapperom étaient présents à la place des frères Slinger lors du grand lancement. Des artistes de renom comme Duke Ellington, Percy Faith et Ray Conniff étaient venus à Paris pour marquer les festivités.
CBS a effectivement eu droit aux Pays-Bas à un espace de bureaux séparé dans la Jansstraat à Haarlem. Hemmy Wapperom, autrefois entre autres correspondant de Billboard, en a pris la tête.
CBS reprend partiellement Artone
Avec le lancement de CBS International, l’expansion de la maison mère américaine n’était pas terminée. Les entreprises pouvant faire la distribution du label CBS ont été avalées. Les Américains achetaient de préférence une maison de disques opérant au niveau national avec une propre usine et un bon système de distribution.
En 1964, c’était au tour de l’Angleterre. Le 3 octobre, un article paraissait dans Billboard avec comme titre : « It’s official: CBS-Oriole deal ». A partir du 1 janvier 1965, CBS International avait sa propre filiale au Royaume-Uni. « Morris Levy, who will run the company in close association with CBS European operations vice-president Peter De Rougemont, said, « I am personally privileged to become a member of the CBS family. With the added impetus of having CBS behind us, Oriole will have no difficulty in expanding rapidly », dixit le rédacteur André de Vekey dans Billboard.
En 1966, Artone a commencé à partiellement opérer sous la tutelle de CBS. Ariane Slinger explique : « La collaboration avec CBS Records se déroulait tellement bien que CBS avait acheté 50% des parts d’Artone en 1966. L’usine de disques aux Pays-Bas est devenue leur plus grand point de production. De cette façon, CBS a pu s’installer en Europe et utiliser le réseau de distribution existant d’Artone ».
D’après Ariane, Casper Slinger était très positif quant au contrat signé autrefois par Willem et lui-même. C’était bénéfique pour tout le monde. Artone et CBS étaient liées dorénavant suite au rachat des actions. « Artone était devenue membre d’une famille couronnée de succès, une entreprise internationale. L’avenir de l’entreprise était ainsi pérennisé ». Ce qu’Ariane m’a raconté me fait fortement penser aux mots de Morris Levy, qui en sa qualité de directeur à Londres est passé d’Oriole à CBS.
En vendant les actions d’Artone à CBS, Casper Slinger avait en outre engrangé de l’argent dont il avait besoin, semble-t-il. Pendant l’interview, Gijs Leijenaar m’avait déjà dit que la maison de Casper était beaucoup plus simple que celle de son frère Willem. Casper était en train de divorcer de sa première femme. Il habitait dans un simple appartement avec Adriana van Mierlo. Leur fille Ariane était née le 26 juillet 1963 à Menton en France.
Le contrat avec CBS mettait fin à une situation financièrement difficile de plus de huit ans pour Casper, Adriana et leurs filles Ariane et (plus tard) Alexandra. « Mon père a alors déménagé (de Menton et Zandvoort) pour s’installer dans le château Klein-Bentveld avec ma mère et moi, c’était une période très glorieuse ! » Au château, la famille avait même son propre personnel, se souvient-elle encore très bien en 2016. La transition a dû être grande pour la jeune fille et sa mère. La petite sœur Alexandra est née à cette époque.
Parmi les tubes de CBS dans les années soixante, il y avait entre autres : « Battle hymn of the republic » (Andy Williams), « Silence is golden » (Tremeloes), « The Boxer » (Simon & Garfunkel), « Like a rolling stone » (Bob Dylan), « Mr. Tambourine Man » (Byrds), « A boy named Sue » (Johnny Cash), « San Francisco » (Scott McKenzie), « Second hand rose » (Barbra Streisand) et « Atlantis » (Donovan).
Artone entièrement aux mains de CBS
Chez CBS, on était content de l’approche d’Artone dans le Benelux. Selon Ariane, la satisfaction était tellement grande que l’entreprise internationale était sur le point de nommer Casper Dingeman Slinger à un poste très important. Casper avait réinvesti la majeure partie de l’argent reçu pour sa part des actions dans Artone. « En 1969, CBS voulait le nommer directeur général pour l’Europe ». Cela ne s’est pas fait. « Mon père est tombé soudainement très malade. Il a dû subir une grave opération au cerveau ».
Il n’y a donc jamais eu de nouvelle carrière chez CBS International. CBS a ensuite proposé de reprendre l’autre moitié de ses actions. « Comme il était malade, mon père a finalement accepté l’arrangement. Il a de suite déménagé dans le sud de la France parce que le climat y était mieux adapté à sa situation (des maux de tête suite aux opérations) ».
Selon Ariane, Casper Slinger a encore longtemps regretté cette décision. Il n’aurait jamais voulu renoncer à l’entreprise. Mais suite à sa malade, il était soumis à de fortes pressions. « Il a été malade pendant deux à trois ans », explique sa fille Ariane. Comme souvent l’adage
« loin des yeux, loin du cœur » était d’application. « Mon père en a beaucoup voulu à tout le monde. Pour oublier la perte de son entreprise, il a renoncé au monde du disque et aux personnes qu’il y connaissait. Il ne voulait en parler à personne, même pas à nous »
Artone n’était plus Artone. C’était sans doute aussi le but de CBS, qui travaillait de plus en plus sous son propre nom et avec son propre logo. L’entreprise américaine a aussi réussi à convaincre Willem Slinger de lui céder ses parts. C’est peut-être pour l’inciter que le frère aîné de Casper a obtenu une montant nettement supérieur pour ses actions dans la maison de disques néerlandaise.
« Au début des années soixante-dix », selon Ariane Slinger, « Artone a disparu. John J. Vis a repris la direction après le départ de mon père ».
Artone, avec son usine complète, un système de distribution et une position sur le marché national et international, était au début des années soixante-dix une acquisition idéale pour l’entreprise américaine CBS. Suite au départ des frères Slinger, le nom Artone a été effacé des annales de l’industrie musicale néerlandaise.